Quand des jeunes s’engagent contre la loi ORE…
« Passe ton bac d’abord ! » reste pour les parents d’ados un minimum apprécié, voire exigé. Faire des études supérieures, suite logique au bac, est pourtant devenu complexe pour bien des familles. Aisées ou non le projet établit par le jeune, engendrera des frais estimés et bien souvent revus à la hausse au cours des études. En fonction de ces frais, peu de parents apprécient, même s’ils le comprennent les changements d’orientation en cours de cursus. Trouver sa voie est compliqué car cela entraine de multiples questionnements sur la vie passée, présente et future mais aussi sur notre environnement social et politique. Des données complexes qui amènent les parents et les ados à consulter des spécialistes pour éviter les dites erreurs.
Quokka en tant qu’association suit, avec ses modestes moyens, les parents, les ados mais aussi les différentes réformes proposées pour répondre aux inquiétudes des parents et des ados. Notre demande serait, dans l’idéal, que chaque jeune puisse suivre son instinct, son chemin d’études par plaisir de connaissances ou par motivation. Malheureusement c’est loin d’être le cas, sélection et place dans le monde professionnel obligent. Quokka ne refait pas le monde mais nous essayons d’informer afin d’imaginer l’arbre des choix possibles.
Nous avons la chance d’avoir parmi nous Emy, une étudiante en service civique. Connaissant son implication dans ses études, son statut de boursière et surtout sa volonté de s’assumer financièrement je lui ai proposé de s’exprimer concernant Parcoursup, ou plutôt la globalité de la loi ORE : Orientation et Réussite des Etudiants. Son point de vue, qu’elle avait gardé précieusement pour elle, ayant déjà compris qu’on ne mélange pas le pro et le perso m’a surpris par ses propos très engagés.
Si je lui ai demandé de creuser davantage certaines affirmations à la recherche je n’ai pas souhaité adoucir la force de son propos pour ne pas les déformer. Ici nous ne sommes pas dans le politiquement correct mais dans l’expression des émotions, la recherche des visions personnelles et de propositions positives.
Nous allons donc commencer ce dialogue à 2 voix, la sienne en tant qu’étudiante et la mienne en tant que Quokka, représentant les interrogations des parents et des ados entendues lors de mes entretiens.
Emy, merci d’avoir répondu à ma demande. Nous savons toutes les 2 qu’APB n’était plus possible et le cafouillage de la dernière session avec son lot de non affectés l’a suffisamment prouvé. Parcoursup était attendu par tous, bacheliers, parents, politiques car il s’agit bien d’un nouvel engagement de la France dans sa politique éducative.
Je t’ai proposé de me parler de ta vision de la réforme ORE. A ma grande surprise, la jeune fille calme, posée et réfléchie a proposé un texte en forme de réquisitoire. Je me permettrai donc de te poser quelques questions à partager sur Quokka non pour te corriger mais pour comprendre tes sources et tes propositions.
En tant qu’étudiante en langues à la Sorbonne Nouvelle, j’aimerais m’exprimer sur cette loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) qui me concerne directement.
La loi ORE vise à réformer l’université dans le sens de la sélection, à travers la nouvelle plateforme remplaçant APB : Parcoursup. C’est désormais aux présidents d’universités de sélectionner les candidats, en fonction des notes, du lieu de résidence, etc… Si sélection il y avait déjà avec le tirage au sort d’APB, cette fois-ci la sélection se fera aussi selon la classe sociale puisque les frais d’inscription risquent d’augmenter de 4000 à 8000 euros.
De plus, les bourses seront attribuées aux plus méritants puisqu’elles seront supprimées si l’étudiant est amené à aller aux sessions de rattrapage en juin.
Enfin, les personnes qui sont atteintes d’un handicap se verront retirer leur bonus d’accès aux formations universitaires.
En tant qu’étudiante, ces trois grands axes du projet ORE suffisent à forger mon point de vue absolument défavorable à la loi qui entraîne une privatisation de l’université allant à l’encontre des principes mêmes de la faculté, créée pour être ouverte à tous.
En tant que boursière, j’aimerais rappeler que les versements ne sont pas un « bonus », qu’ils sont calculés en fonction du quotient familial et que je préfèrerais ne pas en avoir besoin. J’aimerais aussi poursuivre mes études en ayant la certitude que s’il m’arrivait d’avoir une note en dessous de la moyenne, je n’aurais pas à craindre pour l’aide financière qui m’est destinée. Enfin, j’aimerais rappeler qu’un grand nombre d’étudiants boursiers travaillent et sont inscrits en contrôle terminal. Ils ne peuvent donc pas assister à tous les cours et les rattrapages sont, pour eux, une chance d’obtenir leur diplôme tout en subsistant à leurs besoins.
A l’origine, le réel problème est le nombre exponentiel d’étudiants pour le nombre insuffisant de places en fac. Allouer le budget prévu pour un potentiel retour du service militaire (entre 2,4 et 3,1 milliards d’euros par an) à l’ouverture de nouveaux campus universitaire serait, selon moi, une manière plus démocratique de venir en aide à l’enseignement supérieur.
Pour finir, j’aimerais souligner l’hypocrisie générale de la classe politique qui commémore les événements de mai 68 tout en méprisant la lutte sociale d’aujourd’hui à coup de matraques de CRS. Le blocus et la manifestation sont des droits mais ils sont surtout la réponse à une violence institutionnalisée.
Quelle(s) personne(s) t’a(ont) décidé à t’investir dans ce combat étudiant ?
Mes amis et moi sommes assez concernés par cette loi mais j’ai décidé de m’investir de moi-même.
Comment as-tu été informée ?
J’ai été informée en lisant plusieurs articles de journaux différents et en me renseignant sur la loi.
As-tu pu vérifier tes informations ?
Oui en comparant les différents articles et en lisant les détails exacts de la loi. C’est aussi grâce à vous, Florence, que j’ai pu compléter mes infos.
Si tu as lu des infos, sur quel journal ? Connais-tu ses engagements ?
J’ai lu tellement d’articles de journaux différents que les engagements politiques étaient vraiment variés.
Quelles émotions as-tu ressenties en apprenant ces nouvelles ?
De l’injustice mais pas de surprise car il me semble que c’est dans la continuité des dernières réformes passées, malheureusement. J’ai eu encore plus l’impression que l’on voulait décrédibiliser les étudiants et altérer encore plus la qualité de l’enseignement supérieur public puisque rendre difficile l’accès à la fac c’est entraîner de plus en plus de bacheliers vers les écoles privées et payantes. C’est donc renforcer cette idée que la fac n’est pas à la hauteur.
Que penses-tu des étudiants qui ne souhaitent pas s’investir et passer leurs examens ?
Je pense que ces étudiants sont mal informés du fait de leur non-investissement. En effet, si l’on suit les autres révoltes et blocus de fac qui ont eu lieu auparavant, l’on se rend bien compte qu’aucun étudiant n’a jamais été pénalisé par un quelconque mouvement puisque la fac fait toujours en sorte de faire passer les examens d’une manière ou d’une autre. Il était aussi important pour moi de passer mes examens et j’ai tout à fait pu les passer à distance. Par ailleurs ce sont des étudiants qui ne se rendent pas compte que les professeurs sont eux aussi souvent impliqués dans les grèves. La plupart de ces étudiants sont mal informés par manque d’intérêt et il y a aussi souvent le cliché des « babos en sarouel » qui colle à la peau de ceux qui manifestent et auquel ils n’ont pas envie d’être associés.
Que penses-tu de l’engagement des hommes politiques face à l’éducation ?
Je pense que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation, a des valeurs très conservatrices qui ne sont pas en accord avec l’évolution de l’éducation qui est en marche. De plus, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a pour moi fait preuve d’un manque de respect envers les étudiants mais aussi envers tout ceux qui souhaitent manifester. Enfin, Emmanuel Macron est, de mon point de vue, très peu concerné par ces mouvements et ceux qui ne sont pas d’accord n’ont pas vraiment leur mot à dire.
De mon point de vue, il serait judicieux de rediriger de l’argent, par exemple celui destiné au potentiel retour du service militaire pour ouvrir de nouveaux locaux universitaires afin que chacun y trouve sa place. Et si manque d’argent il y a, remplacer les cours d’amphithéâtre (non-obligatoires) par des cours en lignes, comme c’est déjà le cas en médecine, serait un bon moyen de réduire les coûts mais aussi de renforcer la qualité des cours les cours obligatoires.
As-tu demandé à tes parents des conseils ?
Je n’ai pas particulièrement eu besoin de conseils de leur part même si je sais qu’ils n’étaient pas non plus favorable à cette loi. Ils m’ont simplement conseillé de ne pas me mettre en cortège de tête lorsque je manifeste pour éviter d’être blessée.
Je te remercie Emy pour ta franchise, je comprends ton engagement. Je constate que tu participes à ce mouvement pour sauver tes études et non pour éviter de passer tes examens parce qu’il fait beau sur Paris :). Ce qui m’a interessée dans ta démarche c’est de t’amener à travailler ton esprit critique pour ne pas être un mouton suiveur. Ce rôle est celui que tous les parents peuvent avoir, l’éveil à la citoyenneté. Il permet de calmer les peurs parentales. J’espère Emy, que tu recevras une réponse à tes questionnements, que l’on ne permettra pas que tu prennes des risques, soit dans tes études pour lesquelles tu es très engagée, soit au cours des manifestations, parfois violentes, que tu sembles être dans l’obligation de faire pour exprimer ta voix de façon libre et démocratique.
Publié le 8 mai 2018 | |Classés dans : Actualités, Interviews, Non classé
Les commentaires sont fermés.