Peut-on enseigner les mathématiques à tous ? – Interview de Muriel Epstein
Après l’article du Monde sur les mathématiques et la sélection par cette matière, Quokka a trouvé intéressant de demander à Muriel Epstein, professeur agrégée de mathématiques et responsable de Transapi s’il était possible d’enseigner les maths, autrement.
FM : Croyez vous qu’il faille des compétences particulières voire un environnement particulier pour être bon en maths ?
Il faut toujours un environnement particulier pour apprendre, un environnement rassurant où l’on peut lâcher prise, où l’erreur est autorisée. Apprendre signifie lâcher un modèle que l’on croit déjà connaitre, accepter un déséquilibre. Pour apprendre que la terre est ronde, il a fallu brûler du monde. Le problème avec les mathématiques, c’est que c’est une science exacte. On ne sait pas diviser 5 par 0. Il n’y a pas de négociations, de discussions possibles. Ça c’est dur!
Donc pour revenir à la question, je pense qu’il faut un environnement particulier qui donne un peu de souplesse pour compenser l’aspect absolu des mathématiques. Même si certains enfants sont très rassurés par ce côté immuable des mathématiques qui leur donne des repères.
FM : Il semble que les enfants français soient moins bons que les enfants chinois. la raison en serait des mathématiques plus appliqués en Chine. qu’en pensez vous ?
Je suis perplexe. Stella Baruk qui est une pédagogue des maths géniales dont je recommande la lecture à tous les instituteurs, a montré les dégâts des « faux cas pratiques ». Quelque chose qui est pour moi un cas pratique ne l’est pas forcément du tout pour les enfants. Parfois, je fais le constat en classe que quelque chose de complètement inutile et ludique suscitera beaucoup plus d’enthousiasme et d’envie pour les élèves, qu’un exercice d’application. Il y a pratique et pratique. Jean Pierre Kahane mentionne une expérience de laboratoire qui n’est pas vraiment « pratique », qui est « expérimentale », on est dans les pédagogies actives, pédagogies dont nous ne doutons pas du bien fondé à Transapi. Je crois plus au côté ludique qu’au côté appliqué. Les enfants font des maths quand ça les amuse et non quand c’est appliqué.
FM : Anne Siety* dit : « Travailler les maths, c’est travailler sur soi » Certains psychopédagogues pensent que les mathématiques sont le reflet de l’autonomie du jeune qu’en pensez vous ?
Anne Siéty a étudié la peur des mathématiques. Travailler sur ses peurs est une forme de travail sur soi. L’autonomie dépend de son champ d’application. On voit souvent que les jeunes aux comportements autistes et pas très autonomes socialement sont très forts en mathématiques, justement parce que c’est un monde qui peut être rassurant. Inversement, oser chercher en maths, explorer un autre univers, ça peut être faire preuve d’autonomie. Il y a une autonomie d’apprentissage, une autonomie dans le calcul. L’autonomie existe dans un espace et un cadre donné. L’autonomie en mathématiques ne me semble pas toujours liée à l’autonomie globale du jeune mais je n’ai pas lu d’études à ce sujet et ça mériterait sûrement une plus grande réflexion.
*Anne Siéty est psychopédagogue, auteur de « Qui a peur des mathématiques ? », fait sauter les blocages de ses élèves en tentant de comprendre ce qui se cache derrière.
FM : Vous travaillez sur la transmission du savoir chez Transapi , je suppose que vous avez développé des méthodes pour que les jeunes soient plus performants dans cette matière ?
Nous essayons de développer des pédagogies innovantes qui s’appliquent à tout. La personne (enfant, ado, adulte) doit pouvoir utiliser d’autres manières d’apprendre que « je suis assis face à un prof et je regarde ou j’écoute un cours ». Il faut pouvoir utiliser la mémoire kinesthésique** notamment. Nous ne cherchons pas la performance mais l’épanouissement.
Nous essayons de faire en sorte que les jeunes soient plus heureux dans ce qu’ils apprennent et retrouvent leur désir d’apprendre, y compris en maths.
**mémoire kinesthésique : ressentir, vivre les choses avec son corps ou ses émotions pour mieux les apprendre
FM : Cet apprentissage des mathématiques semble être difficile, même dans les classes primaires. Faut il revenir aux robinets qui coulent et qui remplissent la baignoire pour redonner du concret aux apprentissages ?
C’est surtout en primaire que c’est difficile car c’est là que c’est le plus important et que les bases sont posées ! Il faut aussi admettre que les instituteurs (profs des écoles) sont rarement des matheux. Les robinets qui coulent et qui remplissent la baignoire ne sont absolument pas concrets pour des enfants.
Merci beaucoup à Muriel Epstein pour cette interview ! Pour voir l’article du Monde, cliquez-ici
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