Les copains d’abord

école

Elles s’appellent Manon, Sacha et Claire. Toutes trois ont fait leur rentrée en lycée après avoir fréquenté le même collège. Tantôt ensemble, tantôt victimes de cet art mystérieux de la composition des classes.

A l’entrée au lycée, c’est une autre histoire. Manon et Sacha sont inscrites dans le même établissement et ont eu le bonheur de se découvrir dans la même classe le jour de la rentrée. Claire est arrivée seule dans son lycée sans aucun de ses anciens camarades.

Si toutes trois ont le même niveau scolaire et intègrent le même type d’établissement, avec la même exigence de niveau, savez-vous qui a le plus de risques de redoubler sa 2de ? Pas besoin de connaître la profession de son père ou le nombre d’écrans que compte son appartement pour répondre que Claire aura le plus de risques de rater sa 2de, sa 1re et même d’avoir de moins bonnes notes au bac que ses deux amies. Un jeune économiste, Son Thierry Ly, vient de mettre en évidence une loi qui lie la réussite et la présence de visages familiers dans sa classe. Depuis quatre ans, il scrute les trajectoires de 28 000 collégiens dont il connaît les notes, les établissements d’origine et d’adoption ainsi que les classes fréquentées. RELATION MATHÉMATIQUE Son verdict est sans appel : « Un élève qui compte des camarades de collège dans sa classe de 2de a moins de risques de redoubler son année que s’il y est tout seul. L’effet est progressif, au point que chaque ancien copain supplémentaire à côté de lui diminue de 1 point le risque de rater son année », explique le chercheur, qui fait de ce résultat totalement inédit le coeur de sa thèse de doctorat et d’un article, coécrit avec Arnaud Riegert, qu’on lira à coup sûr prochainement dans une des meilleures revues économiques internationales. Cette relation mathématique entre le nombre de copains dans sa classe et la réussite scolaire est valable pour tous les élèves, garçons ou filles, sans seuil minimum à partir duquel le processus s’enclenche. Elle est plus vraie pour les adolescents scolairement « le plus justes », c’est-à-dire ceux qui se situent sous la moyenne des notes au diplôme national du brevet (DNB) et ceux qui sont issus de milieux populaires. Pour ce public plus à risques, « chaque ancien camarade supplémentaire diminue même de 2 points le redoublement ». Si l’on se concentre sur le parcours des jeunes de milieux défavorisés, venant d’un collège populaire et scolairement un peu faibles, qui intègrent un lycée huppé, là, la diminution du risque de faire son lycée en quatre ans oscille entre 3 et 4 points par
camarade de plus dans leur classe ! En poussant au bout la logique, l’économiste édicte une loi très simple : « En regroupant les élèves qui ont les moins bons résultats en fin de collège avec huit anciens camarades de classe qui entrent dans le même lycée qu’eux, on pourrait améliorer de manière significative leur réussite au lycée. Ainsi, leur risque de devoir refaire une 2de tomberait de 27 %, comme c’est le cas aujourd’hui pour cette population , à 21 %. » La classe de 2de reste la plus redoublée du système éducatif, même si on est passé de 16,7 % de redoublements en 1995 à 9,5 % aujourd’hui, tous élèves confondus. IL DONNE TORT AUX PROVISEURS Le travail de Son Thierry Ly donne raison aux parents qui – intuitivement conscients de l’importance de la sécurité affective – ont demandé que leur fils ne soit pas séparé de ses copains… Il donne tort aux proviseurs, « qui n’utilisent généralement pas ce critère pour constituer leurs classes », ajoute Son Thierry Ly… Politiquement correct, il omet de dire que les chefs d’établissement français sont même assez enclins à casser les groupes, pour éviter les bavardages intempestifs et les turbulences de classe. Grâce à son incomparable base de données, l’économiste a mesuré qu’en moyenne 20 % des collégiens d’un établissement intègrent un même lycée, et que 5 % seulement se retrouvent dans la même classe. Or, 5 % de trente élèves, cela ne fait qu’un et demi ; et c’est un choc pour ces jeunes habitués quand même à retrouver des visages connus de l’année précédente. « En France, nous sous-estimons largement l’impact de la présence d’un ami près de soi au moment d’une rupture aussi importante que le passage en 2de », rappelle le chercheur, pour qui le système français ne soigne pas assez ses articulations entre les différents degrés d’enseignement. OPTIMISATION DES POLITIQUES PUBLIQUES Ce qui explique que la classe de 2de, sur laquelle il s’est
concentré, soit aussi une étape qui se termine par le décrochage des élèves les plus faibles. « En humanisant le système, on pourrait le rendre plus efficace, sans y injecter d’argent supplémentaire », résume l’économiste. On gagnerait même le coût des redoublements évités. C’est l’approche qui m’intéresse et que j’exploite dans mes travaux », ajoute-t-il. « J’ai pu observer qu’en Russie c’était un facteur pris en compte, comme parfois dans l’enseignement privé français. Lorsqu’on observe qu’ils obtiennent de meilleurs résultats, il faudrait en tenir compte », ajoute le chercheur. Sa base statistique intègre les établissements publics et privés sous contrat. En revanche, il a enlevé les groupes scolaires, structures qui minimisent la rupture entre 3e et 2de. Impossible de détailler ici sa méthode de travail, mais la « robustesse » de ses analyses a une double garantie en les personnes de ses deux directeurs de thèse: l’économiste Eric Maurin et l’historien Patrick Weil. D’ici à octobre, l’Ecole d’économie de Paris proposera un séminaire sur cette approche totalement inédite de la réussite scolaire individuelle et de l’optimisation douce des politiques publiques.

LE MONDE | 25.09.2013 à 11h15 | Par Maryline Baumard

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Publié le 25 octobre 2013 | | Laissez vos commentaires

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