Peut-on enseigner les mathématiques à tous ?

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« Dénombrer neuf objets. » Un exercice compliqué pour un enfant de grande section. Pourtant, Noor, 5 ans, nattes blondes et fichu rose soigneusement noué autour du cou, a compris la consigne. La petite fille sépare d’un geste sûr les images où figurent neuf lions de celles qui n’en comptent que quatre, cinq ou six. Même facilité chez beaucoup de ses camarades de l’Ecole Aujourd’hui, un établissement scolaire privé laïque niché dans le 14e arrondissement de Paris. Parmi les outils qui leur permettent de développer cette compétence précoce, un manuel, Mathématiques : la méthode de Singapour. Traduit depuis 2007 en français, ce manuel propose une construction progressive des notions de numération. Il a été importé en France par des expatriés étonnés des résultats des élèves Singapouriens aux classements internationaux en mathématiques. Et pour cause, ils sont toujours en tête. Loin devant la Finlande.

PHÉNOMÈNE DE RÉPÉTITION

Des performances qui amènent progressivement 500 établissements français à l’utiliser. Pour Cécile Primot, directrice et prof de grande section à l’Ecole Aujourd’hui, c’est surtout la simplicité de la méthode qui justifie son utilisation : « Contrairement aux autres bouquins de maths où les consignes sont complexes, denses et variées, ce fichier est épuré et intuitif. Qu’il s’agisse de la mise en page ou des exercices, tout est limpide. Les enfants, qui ne savent pas encore lire, peuvent comprendre ce qu’ils doivent faire à partir des images », s’enthousiasme la jeune femme. Autre bon point : le phénomène de répétition. « Les exercices sont les mêmes à plusieurs reprises. C’est extrêmement progressif. Cela permet à l’élève de se familiariser avec les consignes et à nous de mieux repérer là où ça coince », estime Nathalie Perrin, sa collègue de CE1. Depuis qu’elles ont fait le choix de cette méthode — l’une en 2011 et l’autre en 2013 — les deux femmes observent chez leurs élèves une meilleure « assise » dans cette matière. Aucun manuel « ne pourrait se suffire à lui-même», nuance néanmoins Cécile Primot. Chaque nouvelle notion en maths doit s’accompagner, rappelle-t-elle, d’une multitude d’expérimentations.

Il en va ainsi du chiffre 9. Avant de se plonger dans le manuel de Singapour, les enfants ont manipulé un autre outil : les « réglettes Cuisenaires ». Ces bâtons colorés de différentes tailles correspondent à des nombres. Ceux de 1 cm au chiffre 1, ceux de 5 cm au chiffre 5… Le concept ? Les assembler pour atteindre le chiffre neuf. Parmi les nombreuses variantes, Anatole, petit pull marin et grandes lunettes rondes, a trouvé « 3 + 3 + 3 ». Une découverte formidable à en croire le sourire qui se dessine sur ses lèvres. « En manipulant des objets, les additions prennent corps, elles s’inscrivent dans le réel », estime Cécile Primot. Sa collègue Nathalie Perrin partage la même opinion. « L’assemblage de réglettes permet à l’élève de construire une opération et non pas simplement de l’écrire sur son cahier comme c’est souvent le cas dans les écoles françaises. Ici, nous essayons vraiment de donner du sens aux opérations mathématiques. Couper une pizza en dix parts ou départager des cartes Pokémon peuvent par exemple être de bons moyens d’introduire aux enfants une notion complexe, comme la division ou la soustraction », explique-t-elle.

APPROFONDIR CHAQUE NOTION EN MANIPULANT

C’est aussi ce que font les enseignants des pays asiatiques : approfondir chaque notion en manipulant, pour en comprendre la réalité et les multiples facettes, avant de passer à l’abstraction. Pour faciliter ce « passage », l’Ecole Aujourd’hui tisse des liens entre les centres d’intérêts des élèves et les apprentissages. « Il nous semble important de participer à leur épanouissement. C’est pourquoi nous ne sommes pas dans des rapports d’autorité classiques. Chacun s’écoute et s’intéresse aux idées des autres », commente Cécile Primot. Cette philosophie se traduit notamment par la « causette jeux » : Chaque semaine, trois enfants amènent un jeu de société et en expliquent les règles à la classe, le professeur y compris.

Aujourd’hui, c’est au tour d’Iris. La petite fille, carré foncé et grands yeux innocents, réajuste sa robe, s’assoit au centre d’un cercle formé par ses camarades, et présente timidement «Le verger», un jeu coopératif. Après ses explications fusent les questions des élèves et de Cécile Primot. « Combien de joueurs peuvent y participer d’un coup ? », l’interroge cette dernière. L’enfant cherche le chiffre sur le dos de la boîte, compte sur ses doigts le nombre de figurines et répond fièrement « quatre ». Une façon intéressante d’inverser la hiérarchie… et de faire des maths !

Source : http://www.lemonde.fr/education/article/2014/02/04/peut-on-enseigner-les-mathematiques-a-tous_4359648_1473685.html Par Emma Paoli LE MONDE |  • Mis à jour le  |

Publié le 24 mars 2014 | | Laissez vos commentaires

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